Je ne suis pas l’auteur de ce texte qui a été distribué dans plusieurs lycées par des professeurs en grève à des lycéens passant les épreuves du nouveau bac Blanquer, ces 20 et 21 mars 2023.
Mitry-Mory est une commune de Seine-et-Marne (77).
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Les résultats du bac sont tombés et la classe politique se félicite. Que les résultats de l’an dernier aient été meilleurs que ceux des années passées était un signe de bonne santé. Que les résultats de cette année soient moins bons que ceux de l’an dernier est une preuve de sérieux. Le bac réformé est un diplôme qui a du poids : on ne le brade pas et on ne fait pas n’importe quoi.
C’est d’ailleurs sérieusement que j’ai été, moi professeur de mathématiques dramatiquement unilingue, convoquée en juin pour faire passer le Grand Oral dans la spécialité « Littérature anglaise ». Le lycée dans lequel j’avais été affectée pour une semaine d’examen était une école privée catholique d’une commune habitée par les plus grandes fortunes de France : un établissement trop chic pour qu’on y appelle poubelle une poubelle. Je m’inquiétais de la réaction qu’aurait, apprenant mon incompétence linguistique, le collègue avec lequel je devrais, dix heures par jour, former un jury. Je priais pour tomber sur un enseignant d’anglais, à condition que tous n’aient pas été affectés à des jurys de physique ou de mathématiques.
Alors que j’entrai dans la cour du lycée ornée de monumentales statues saintes, un Christ en pierre m’ouvrit les bras, et un proviseur en chair m’offrit un pain au chocolat. La collation nous attendrait tous les matins, et le déjeuner nous serait offert à la cantine, une attention qui n’aurait jamais existé dans un lycée public. Un café dans une main, un jus d’orange dans l’autre et deux mini-croissants fourrés à la hâte dans la bouche, je fus guidée par une charmante quincagénaire en jupe longue et talons plats vers mon binôme, une anglophile anglophone, Dieu soit loué !
Le Grand Oral, l’épreuve reine de la réforme, le joyau de nos deux ministres, ancien et nouveau, qui se congratulent de l’avoir, pour l’un inventé, pour l’autre conservé, pouvait commencer. Chaque oral de vingt minutes était calibré, selon les directives ministérielles, pour se découper en trois parties : tout d’abord un exposé de cinq minutes sur un sujet choisi par le candidat et préparé chez lui et en classe depuis des mois, ensuite dix minutes de questions posées par le jury, et enfin un entretien de cinq minutes portant sur l’orientation du candidat et sur ses projets d’études. Ma mission, que j’avais été contrainte d’accepter, était de rester attentive, tout en n’y comprenant goutte, à l’élocution et à la gestuelle du candidat pendant les deux premières parties du Grand Oral qui pouvaient être faites en anglais ou en français au choix, et de poser des questions sur l’orientation de l’élève dans les dernières minutes de l’épreuve, occasion de sortir de ma torpeur et de montrer au futur bachelier que je n’étais ni une potiche, ni la statue ratée d’une Vierge Marie qui aurait grossi.
Certainement protégées par le dieu de l’Éducation Nationale, ma collègue et moi survécûmes aux cinquante heures d’exposés niveau début de collège, appelé Grand Oral. Concentrée, les yeux fixes, la bouche crispée et le front plissé, je découvrais avec surprise que je pouvais suivre les exposés en anglais fluently de nos candidats aisés qui avaient tous bu Shakespeare dans leurs biberons réchauffés par des nurses anglaises ou par des jeunes filles au pair, et qui avaient tous eu l’occasion d’élargir leur vocabulaire en voyageant à New York ou à Miami. Mon incompétence franco-française ne m’empêchait pas de constater que la quasi-totalité des exposés n’étaient pas le fruit de recherches personnelles des candidats, mais des plagiats bâclés de parties du programme de spécialité anglais rabâchés en classe. Pourquoi sinon des brochettes d’élèves issus des mêmes classes et convoqués à la queue leu leu, avaient-ils tous choisi librement et sans contrainte, de parler de Rambo et de Jane Eyre ? Dès la fin de la première journée d’oral, Jane Eyre, militante féministe, était amoureuse de Rambo qui combattait au Vietnam dans une guerre de religions. Que l’élève, un futur commando de marine n’ait pas su dire à ma collègue de quelles religions il s’agissait, n’avait pas une grande importance puisque l’esprit de cet examen était de noter l’éloquence et la prestance plus que le fond.
Une drôle d’épreuve que de valoriser coefficient dix l’esbroufe sans presque noter la substance qui pouvait être vide, copiée, volée, ignare ou mensongère. Quelles valeurs sociales et quelle moralité étions-nous supposées évaluer ? Préparions-nous les futures élites de la nation à nous diriger par le vide ? L’institution scolaire en était-elle arrivée à légitimer, comme point d’orgue d’un parcours de quinze ans d’école, l’art de l’éloquence creuse ?
Peu importait, dès lors, que je comprenne ou non ce qui se racontait pour noter la prestation. J’étais bien assez compétente pour juger des tenues proprettes, de la politesse, de l’aisance au discours parfois trop décontractée de la jeune fille renversée sur sa chaise, les jambes croisées qui se croyait au café, ou émouvante d’une frêle créature aux yeux limpides, en chemisier et jupe plissée, dont les projets étaient d’écrire un livre et d’ouvrir une école en Afrique.
Tous étaient acceptés à la rentrée dans des écoles de commerce international, de mode, d’art ou de cinéma dont les droits d’inscription et de scolarité approchaient les cinq chiffres. Tous ont eu leur bac et j’ai retraversé la cour du lycée encore peuplée des derniers élèves de l’année vêtus de polos blancs et de bermudas bleus. En une semaine, le Christ en pierre et moi étions devenus familiers. Je le saluai. Pour le meilleur ou pour le pire j’avais rempli ma mission et j’étais en vacances.
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