Le titre

Chose promise, chose due, je me préparais à balancer dans mon blog la page de couverture de mon « roman », nom bien pompeux donné à quelques chapitres qui, pour l’instant, ne mènent nulle part. Vous auriez eu ça :

J’étais assez contente de moi, sauf que, marchant dans la rue il y a deux jours, une baguette de pain à la main j’eu un flash subit : « ce titre n’a-t-il pas déjà été utilisé ? » Urgence absolue de la question, et immédiateté de la réponse permise par le monde moderne. Sans perdre un instant au feu rouge avant de traverser une grande avenue, je me calai la baguette sous le bras pour attraper mon téléphone portable et taper « la fenêtre » sur un moteur de recherche.

Ma déconvenue n’attendit même pas que le bonhomme passât au vert. Faisant suite à toutes les annonces de menuiseries vantant le double vitrage, je découvris avec horreur les nombreuses fenêtres déjà publiées :

La fenêtre de Liliane Schrauwen

La fenêtre de Jean-Frédéric Jung

La fenêtre de Gisell Aliannah

La fenêtre de Paul Vincent

La fenêtre de Mario Soldati

La fenêtre d’Andrea Del Lungo

La fenêtre d’Anne-Marie Soulac

Par la fenêtre de Julian Barnes

Derrière la fenêtre de Jean Ferniot

A travers ma fenêtre de Jean-Sébastien Etchegaray

La fenêtre refermée d’Ami Chantre

La fenêtre ouverte de Georgette Elgey

La fenêtre interdite de Roger Frisch

La fenêtre panoramique de Richard Yates

Femme à la fenêtre de Joyce Carol Oates

La femme à la fenêtre d’A.J. Finn

L’homme à la fenêtre de Lorenzo Mattoti

La fenêtre jaune de Serge Brussolo

Ou tout simplement Fenêtres de J.-B. Pontalis. Il me restait « La fenêtre entrouverte », mais je renonçai, et cherchai parmi d’autres huisseries.

Une porte sur le large ? Immédiatement google me proposa d’acheter Une porte sur l’été, Une porte sur l’hiver, Une porte sur demain et Une porte sur le ciel.

Un balcon sur la dune ? Mais Julien Gracq a écrit Un balcon en forêt et pas touche, respect.

Huis clos ? Déjà utilisé.

L’Horizon ? C’est Modiano.

Le monde clos et l’espace infini ? Joli, mais Alexandre Koyré a déjà eu l’idée.

Au-delà du périmètre ? On a déjà fait De l’autre côté du périphérique, ça suffit.

La vie dans un rectangle ? Je vais me croire au boulot.

Alvéole sur mer ? Pour un livre ou pour une station balnéaire ?

La terrasse ? C’est quoi comme restau ? Le pass sanitaire s’il-vous-plaît.

Et La terrasse de ta race, enculé de sa mère le titre !!! Ah oui, ça c’est disponible.

Devrais-je rajouter une fenêtre à toutes celles existantes ? Une de plus, une de moins… Une toute petite fenêtre, une lucarne à peine visible dans un tout petit blog sur la Toile ? Où serait le mal ?

Poursuivant mon chemin avec ma baguette de pain je me dis qu’il faudrait inventer une nouvelle langue rien que pour les titres. Peut-être devrais-je tirer à l’aveugle sept lettres au scrabble pour nommer mon récit.

J’ai appris sur les bancs de la fac une loi de probabilités que le prof nous avait présentée ainsi : « Un singe immortel tapant au hasard sur une machine à écrire pendant un temps infini écrira une fois au moins À la recherche du temps perdu dans son intégralité et sans une faute ». En langage mathématique moins provocateur, cette loi signifie que tout événement, sur un temps infini, est certain. Toute chaîne de caractères (et La recherche est, comme tout livre, une chaîne de caractères – très longue – avec des lettres, des espaces et des symboles) sera écrite à un moment, dans l’ordre et sans une faute, au hasard, dès lors que le processus aléatoire d’écriture se poursuivra sur un temps infini.

Et si je m’en remettais à cette loi ? N’ayant pas de singe immortel sachant utiliser un traitement de texte sous la main, et ne disposant pas d’un temps infini puisque je vais aller chercher mes enfants à l’école, je vous propose donc fièrement ceci :